Histoire

Assemblage du C Series : Mirabel ou Kansas City ? 

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C’est le 12 juillet 2008 à Farnborough que Bombardier a procédé au lancement officiel du programme C Series. Cette journée-là, la compagnie confirme également le site retenu pour accueillir la chaîne de montage : les villes de Kansas City et Mirabel étaient dans la course jusqu’à la fin. C’est Mirabel qui a fini par l’emporter et c’est en grande partie grâce aux résultats de la négociation entre Bombardier et le syndicat représentant les machinistes l’AIMTA. 

J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec le Vice-président canadien de l’AIMTA, M. David Chartrand. Ce dernier était président de la section locale 712 qui représente les employés de Bombardier. Voici donc l’histoire de cette négociation :

Le faux départ de 2005

Le contexte

Bombardier avait mis en compétition les villes et États qui veulent obtenir la ligne d’assemblage. Bombardier ayant déjà des installations à Belfast, Montréal et Toronto, ces trois régions sont dans la course. Certains États américains tentent également leur chance, dont celui du Nouveau-Mexique. 

Au début de 2001, la section locale 712 de l’AIMTA comptait près de 8 500 membres à l’emploi de Bombardier. Après les attentats du 11 septembre, ce nombre était descendu à près de 5 600. En 2004, plusieurs compagnies aériennes sont en faillite ou en redressement judiciaire. Il faut également se souvenir qu’à cette époque les fermetures d’usines étaient nombreuses. L’enjeu est donc de taille puisque l’usine du C Series créera 2 500 emplois industriels bien rémunérés. C’est dans ce contexte que Bombardier approche les deux syndicats canadiens.

La première entente

Au cours de l’hiver 2005, Bombardier discute avec les syndicats représentant les employés de Montréal et Toronto. Ce sont les TCA qui représentent les employés de Toronto et ces derniers refusent de revoir leur convention collective le 18 février*. 

Pendant ce temps, les négociations avec l’AIMTA avancent et finissent par déboucher sur une entente à la fin de févriers. Elle est acceptée par les membres dans une proportion de 91,4 % lors d’un vote tenu le 6 mars 2005**. Mais pour que cette entente entre en vigueur, il faut que Bombardier aille de l’avant avec le C Series. 

L’avionneur ne parvient pas à obtenir le nombre de commandes nécessaires et finit par repousser le lancement. L’entente avec l’AIMTA est donc invalidée.

En route vers le lancement officiel du C Series 

Au début de l’année 2008, le programme C Series avait repris du galon et deux sites sont encore en lice : Kansas City et Mirabel. Québec offre une aide de 118 M$ et Ottawa 350 M$. Pour sa part, Le Missouri offre 240 M$ en crédit d’impôt et offre de construire l’usine pour le relouer à Bombardier à Kansas City. Du point de vue financier, les deux offres se ressemblent. 

Mais les coûts de production dans la région de Montréal sont élevés selon Bombardier. Le manque de flexibilité de la convention collective avec les membres de la section locale 712 est en cause. L’employeur a donc entrepris une nouvelle démarche avec le syndicat. 

Un contexte similaire

Entre de mars 2005 et mai 2008, le prix du baril de pétrole américain est passé de 55 $ à135 $. Les compagnies aériennes se retrouvent de nouveau en difficulté financière. De plus, les prévisions pour le futur du CRJ ne sont pas très bonnes. C’est dans un contexte qui ressemble étrangement à celui de 2005 que débuteront les négociations entre l’AIMTA et Bombardier. 

Une nouvelle méthode de négociation

M. Chartrand explique qu’à cette époque-là, les négociations pour renouveler une convention collective pouvaient durer 6 à 12 mois : l’employeur présentait une offre au comité de négociation. Ce dernier se retirait et revenait avec une contre-offre. C’était une longue partie de ping-pong.

Afin d’accélérer le processus, les deux parties font alors la liste de leurs irritants respectifs. Bombardier désire alors travailler sur trois points bien précis : les fournisseurs et la sous-traitance, l’absentéisme et le manque de flexibilité de la convention collective. 

Les fournisseurs et la sous-traitance

Avant 2009, tout ce qui entrait dans la fabrication d’un avion était réceptionné par le magasin de l’usine. Seuls les employés de la section transport étaient autorisés à déplacer les pièces et systèmes dans l’usine. Cette méthode de fonctionnement causait des problèmes de garantie avec les fournisseurs. M. Chartrand donne l’exemple d’une nacelle de moteur : au moment d’accrocher la nacelle sur l’avion, si les employés découvrent un défaut, le fournisseur refuse d’honorer sa garantie. Ce dernier mentionne que la pièce a été réceptionnée plusieurs jours ou semaines plutôt et que le dommage est survenu lors des déplacements dans l’usine. 

La proposition permet donc à certains fournisseurs et à leurs sous-traitants de venir livrer et installer leurs propres systèmes. Tout dommage qui survient lors de la manutention et de l’installation est donc sous la responsabilité du fournisseur. Cette méthode a permis à Bombardier de réduire considérablement ces coûts pour des produits non conformes. 

L’absentéisme

Les employés de Bombardier avaient une formule d’améliorations de présences payées : lors de la dernière paye annuelle, l’employeur remboursait jusqu’à six journées de maladie non utilisées à 1,5 fois le salaire. Malgré cela, le taux d’absentéisme était très élevé et cela nuisait à la productivité. La solution trouvée était originale : au mois de janvier, la compagnie verse à l’employé une somme qui représente 66 % des congés de maladie. Durant l’année l’employé ne reçoit aucune compensation pour les journées où il s’absente. Puis en décembre, l’employeur verse le dernier tiers des congés de maladie. 

Le manque de Flexibilité 

La convention collective prévoyait que tout travail effectué le samedi devait être rémunéré à temps et demi et à temps double le dimanche. Avec la nouvelle disposition, un employé doit avoir travaillé sa semaine de 40 heures avant d’avoir droit d’être rémunéré à temps et demi. 

Cette modification a permis de créer plusieurs horaires de travail différents. L’employeur pourra donc produire sept jours sur sept et 24 heures sur 24.

L’autre gros irritant était la quantité de classification des métiers au sein de l’entreprise. À cette époque, il y avait plus d’une centaine de classifications différentes. Souvent, il fallait deux ou trois employés pour effectuer une tâche au lieu d’un seul. En réduisant le nombre de tâches, l’organisation de la production a été grandement simplifiée. 

Les gains

Le fonds de pension des employés a été bonifié. De plus, il y avait des augmentations salariales totalisant 19,5 % sur six ans. 

Le vote

C’est avec cette proposition que le comité de négociation de la section locale 712 se présente devant les membres le 6 juillet 2008. C’est dans une proportion de 82,6 % que les membres ont voté en faveur de la nouvelle convention collective***. M. Chartrand a toujours parlé d’aménagements dans la convention collective plutôt que de concession.

L’annonce

Pour que les aménagements de cette nouvelle convention entrent en vigueur, Bombardier doit aller de l’avant avec le CSeries. Huit jours plus tard, l’avionneur québécois procède au lancement officiel à Farnborough. La Presse consacre les cinq premières pages de son édition du 14 juillet 2008 au C Series. Le 14 juillet 2008, tous s’entendent pour dire que la réussite de la négociation entre l’AIMTA et Bombardier à jouer un rôle essentiel dans le choix de Mirabel. Même le premier ministre Jean Charest a des bons mots pour le Syndicat, ce qui est plutôt rare de sa part.

Le constat

13 ans après cette négociation, la production du CRJ a cessé et l’A220 est en production. Près de 1 700 membres de la section locale 712 sont à l’emploi d’Airbus à Mirabel. Évidemment, on peut toujours se demander ce qui serait arrivé si cette négociation avait échoué. Remarquez que vous pouvez toujours demander aux employés de De Havilland si eux regrettent de ne pas avoir eu le C Series.

*Le Soleil 19 février 2005

**Le Devoir 7 mars 2005

***Le Devoir 7 juillet 2008

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2 avis sur “Assemblage du C Series : Mirabel ou Kansas City ? 

  • BernardP

    Très intéressant récapitulatif. On voit bien que ce ne sont pas seulement les aides financières des gouvernements qui sont déterminantes dans les décisions d’investissement des entreprises.

    Quant aux aides de 118 M$du Québec et de 350 M$ du Fédéral, il s’agit de prêt remboursables par redevances croissantes au fur et à mesure des livraisons de C Series.

    Je me demande ce qu’il advient de ces remboursements, dont on n’entend jamais parler de la part de ceux qui critiquent les aides dont Bombardier a bénéficié. Airbus Canada devrait maintenant être responsable du versement de ces redevances.

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  • Que sont les termes de ces prêts remboursables ?

    Est-ce que les redevances commencent à la première livraison ?

    Répondre

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