Aérospatiale

ATR et De Havilland face à l’incertitude

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ATR et De Havilland sont les deux fabricants d’avions turbo hélices à être encore en activité. Mais en cette période de crise sans précédent, il convient de se demander quelles sont les perspectives du marché. La famille d’avions ATR possède maintenant près de 75% des parts de marché et c’est l’ATR 72-600 qui domine. De son côté le Dash8-400 est un avion qui est adapté aux aéroports en haute altitude et aux courtes pistes. 

Mais les deux fabricants font maintenant face à une situation nouvelle qui menace leur survie. Dans ce texte je me penche sur les éléments qui jouent contre les deux fabricants. 

Un marché atypique 

Le marché des avions régionaux est bien différent de celui des lignes principales. Le faible volume de passagers entraine une série de modifications importantes : les avions sont plus petits, les coûts d’opération sont plus élevés et les mesures de performance sont différentes. C’est pour ces raisons que la plupart des grandes compagnies aériennes n’exploitent pas leur propre flotte d’avions régionaux. Elles préfèrent en confier la gestion et l’exploitation à des entreprises spécialisée dans le domaine. 

Parce qu’ils ont une altitude de croisière moindre, les turbo hélices sont plus adaptés aux sauts de puces. Le trajet moyen d’un turbo hélices se situe entre 250 nm et 300 nm, il dure donc moins d’une heure. Si on compare, le trajet moyen d’un régional jet est le double à 600 nm. Sur d’aussi courtes distances, la consommation de carburant est un facteur moins important dans les coûts d’opération. Par contre, la masse maximale au décollage a beaucoup plus d’importance puisqu’une bonne partie des frais aéroportuaires sont calculés en fonction de la masse maximale au décollage. Comme un avion régional effectue régulièrement plus de six vols par jours, cela devient un enjeu.

Le coût d’acquisition d’un avion régional est proportionnellement plus important que celui d’un avion moyen-courrier. Sur le court terme, le recours au crédit-bail plutôt qu’à la propriété directe permet de réduire le coût d’acquisition. La proportion d’avions régionaux qui sont en crédit-bail est de 44 %. Pour les avions moyen et long courrier cette proportion baisse à 25 %. Les compagnies de crédit-bail ont donc une plus grande influence sur ce marché.

La dépendance aux grandes compagnies aériennes

Le marché des avions régionaux est le parent pauvre de l’industrie du transport aérien. Afin d’accroître leur rentabilité, les grandes compagnies aériennes n’ont pas hésité à serrer la vis aux transporteurs régionaux. Au cours de la dernière décennie, les grandes compagnies aériennes ont déclaré d’importants profits. Pendant ce temps, les transporteurs régionaux faisaient la file afin de déposer leur bilan dans l’espoir de se restructurer. 

Il est très difficile pour un transporteur régional de survivre sans une alliance quelconque avec les grandes compagnies aériennes. Plus souvent qu’autrement, les grandes compagnies aériennes achètent un volume prédéterminé de sièges à un prix fixe. Plusieurs transporteurs régionaux font 100 % de leur chiffre d’affaires avec une seule compagnie aérienne. Au mieux, ils ont deux ou trois clients mais qui de toute manière sont pingres lors des négociations. La COVID19 ne fera que fragiliser encore plus les transporteurs régionaux. 

La situation actuelle

Les dernières données sur l’utilisation des avions régionaux apportent une lueur d’espoir à ATR et De Havilland. Alors que le nombre de vols effectués dans le monde est encore sous les 50 % près de 70 % des ATR et Dash8 sont en service. D’ailleurs, De Havilland clame à qui veut l’entendre que le marché des avions régionaux sera le premier à reprendre. Mais la réalité est tout autre alors que le taux d’occupation des avions demeure anémique. En ce moment, les compagnies aériennes ajoutent plus de capacité que le taux de croissance du nombre de passagers. 

En fait, les compagnies aériennes se précipitent pour ajouter des vols dans le but d’enlever de la clientèle aux autres. À chaque fois qu’une compagnie ajoute de la capacité, ses rivales se précipitent pour en faire autant. Dans certaines régions du monde on assiste à une étrange compétition. Les gros transporteurs à rabais européens sont particulièrement agressifs en ce moment. Sur le site The Air Current, Jon Ostrower a dépeint la situation actuelle de la manière suivante : « les compagnies aériennes se livrent un combat à coup de couteaux dans un radeau gonflable qui prend déjà l’eau ».

En rajoutant des vols maintenant, les compagnies aériennes ne font qu’augmenter leur déficit. À un moment donné il va falloir revenir à la raison et cesser de faire voler des avions vides.

Le retour à la dure réalité

Le mois d’octobre 2020 passera sans doute à l’histoire comme étant « octobre noir » pour le transport aérien. Déjà plusieurs grandes compagnies aériennes planchent sur d’importants programmes de mises à pied. Air France, American, Delta, IAG, Lufthansa group, Southwest et United planifient d’importantes coupures. C’est un minimum de 100 000 emplois qui pourraient passer à la trappe cet automne. 

La situation économique actuelle force les compagnies aériennes à des coupes tout azimut. Cette pression se transmet inévitablement sur le prix des avions de tous les fabricants. ATR et De Havilland ne pourront y échapper et leur mince carnet de commandes est plus fragile que jamais. En plus, la pression des environnementalistes ne fera qu’accentuer le problème des deux fabricants de turbo-hélices. 

De plus, ATR et De Havilland évoluent dans un marché qui était à maturité avant la COVID19. Il faudra donc attendre des années avant de revenir au niveau d’avant, mais ce marché pourrait ne pas reprendre. Surtout qu’en Europe le mouvement flagskam demeure vigilant surtout pour les vols régionaux.  En ce moment, il y a un surplus de bons avions usagés et ce peu importe la catégorie. Les prix sont à la baisse y compris pour les avions régionaux usagés de 10 ans d’âge. Voici un tableau à cet effet :

ATR et De Havilland valeur marchande
ATR et De Havilland valeur marchande
*source Ishka Global

Comme on peut le constater, les prix ont baissé de plus de 23 % pour l’ATR 72-600 et le Dash8 400. Il faut savoir qu’ATR et De Havilland ont des marges bénéficiaires très minces. C’est d’ailleurs le déficit chronique du Q400 qui a forcé Bombardier à s’en départir. ATR et De Havilland ne disposent tout simplement pas de marge de manœuvre face à un marché déprécié. 

L’avenir

ATR et De Havilland n’ont que de vieux programmes d’avions en fin de vie utile. Étant donné les pressions environnementales, rien ne sert de lancer un nouveau programme d’avions avec une propulsion traditionnelle. Il faudra un nouveau mode de propulsion. Il y a bien Pratt & Whitney qui travaille sur une motorisation hybride, mais pour l’instant ce projet est pour des remotorisations et non des avions neufs. 

L’avenir d’ATR et De Havilland me paraît bien incertain en ce moment, il faudra un support étatique important pour survivre. À moins qu’un motoriste ne réussisse à proposer un nouveau mode de propulsion révolutionnaire d’ici deux ou trois ans. Mais là encore, il faudra des deniers publics pour financer le tout. 

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