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Air Canada, une annonce prévisible

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L’annonce

Air Canada a annoncé hier qu’elle suspendait indéfiniment 30 liaisons régionales dont 11 au Québec. De plus, la compagnie aérienne fermera 8 bases d’opération dont 4 au Québec : Baie-Comeau, Gaspé, Mont-Joli et Val d’Or. En fait, 23 des 30 suspensions de liaison sont au Québec et dans les Maritimes. 

Bien qu’elle soit décevante, dans le contexte de la crise actuelle, cette annonce était prévisible.

Les municipalités

L’arrêt des vols vers Gaspé, Mont-Joli et Val d’Or aura un impact très important pour ces communautés éloignées. L’Union des municipalités du Québec (UMQ) n’a pas tardé à réagir à cette annonce :

« la décision du transporteur de mettre un terme indéfiniment à plusieurs dessertes nuit à nos efforts collectifs de relancer l’économie »

Les élus municipaux ont raison de s’inquiéter des conséquences de cette fermeture sur leur municipalité. La présence d’Air Canada est essentielle au bon fonctionnement de bien des aéroports régionaux. Dès le début de la crise de la COVID19, Air Canada avait réduit considérablement ses liaisons régionales. Les aéroports régionaux ont été très affectés par cette décision. D’ailleurs, l’Aéropod avait fait une entrevue avec la directrice générale de l’Aéroport de Mont-Joli à ce sujet : avancez la vidéo ci-dessous à 1 heure, 2 minutes et 20 secondes pour voir l’entrevue. 

Entrevue aéroport de Mont-Joli

Un problème non résolu

Dans les années 90, le gouvernement canadien s’est retiré de la gestion des aéroports canadiens. Les grands aéroports comme ceux de Montréal et Québec offraient suffisamment de perspectives de rentabilité pour intéresser le secteur privé. Il s’est empressé de transférer la gestion des plus gros aéroports à des organismes privés. Notez que depuis la cession de la gestion des aéroports, Transports Canada a cessé de les soutenir financièrement. En 2020, les aéroports sous gestion privée ont versé près de 500 M $ de redevance à Transport Canada. ADM a versé à elle seule 80 M $ à Transports Canada en guise de loyer. 

Mais le cas des petits aéroports régionaux était plus complexe car ils ont toujours été déficitaires. Pour s’en départir, le gouvernement fédéral a été obligé de se tourner vers les municipalités. Dans le cas des aéroports régionaux, Transports Canada a carrément transféré la propriété des aéroports aux municipalités. Ces dernières se sont retrouvées avec des infrastructures dont elles ignoraient l’état et les besoins. 

La sécurité du transport aérien s’est beaucoup améliorée depuis les années 1990. Mais le rehaussement des normes a fait grimper les coûts d’opération des compagnies aériennes et des aéroports. En région, les municipalités ne pouvaient pas absorber à elles seules ces augmentations. Elle se sont donc tournées vers les transporteurs aériens en augmentant les frais aéroportuaires.

Les choix politiques

À la fin des années 80, le gouvernement de Brian Mulroney a privatisé Air Canada. Son objectif étant de ne plus avoir à la soutenir financièrement. Cette privatisation a donc retiré à Air Canada son mandat de transporteur national. Elle doit maintenant prendre tous les moyens afin d’assurer sa rentabilité et sa survie. Le maintien des routes régionales essentielles ne fait plus partie de son mandat. Si les gouvernements canadien et québécois souhaitent maintenir des routes déficitaires, c’est à eux d’en assumer les déficits.

Le gouvernement canadien s’est désengagé de toutes ses responsabilités dans le secteur aérien. Pourtant, ce secteur relève uniquement de sa compétence et il est le seul à pouvoir légiférer. Si Québec veut intervenir dans le transport régional, il doit le faire avec des moyens limités. C’est l’équivalent de mener un combat avec une main attachée dans le dos. 

En plus, après les attentats du 11 septembre 2001, le gouvernement a changé les règles pour les aéroports régionaux. Les nouvelles règles et normes en matières de contrôle de passagers bloquent le développement des aéroports régionaux. Pour les aéroports qui n’avaient pas de vols réguliers de passagers en 2001, il est extrêmement dispendieux d’obtenir ce droit. Cela les prives de toutes possibilités de développement. 

Le fiasco auquel nous assistons est le résultat de plusieurs décennies de désengagement du gouvernement canadien. Ce qui me trouble, c’est qu’Ottawa n’hésite pas à subventionner Via Rail à la hauteur de 550 M $ par année. Lorsqu’il s’agit de subventionner la construction d’un terminal de croisière maritime ou d’un pont, Ottawa est présent. Mais le transport aérien doit se contenter des miettes prises à même les revenus de loyers des grands aéroports. Remarquez que je ne suis pas contre l’aide aux différents modes de transports, mais en faveur d’une équité.

Une compétition inégale

Il y a quelques années, les deux propriétaires de Pascan Aviation, Julian Roberts et Yani Gagnon m’expliquaient ceci : notre principal concurrent entre Gaspé et Québec ce n’est pas Air Canada, c’est l’autoroute 20. Les gouvernements subventionnent la construction des routes et des ponts, Québec en fait l’entretien et il offre même un régime d’assurance collective aux conducteurs et propriétaires. Comparé à l’avion, cela coûte deux fois rien de prendre sa voiture de Gaspé à Québec. Même si le temps de déplacement est long c’est tout de même avantageux. 

Au Québec, 40% du prix d’un billet d’avion échappe complètement aux compagnies aériennes. Ce 40 % est constitué de frais aéroportuaires, de navigation et autres taxes. Opérer des vols régionaux au Québec coûte cher et il est très difficile de maintenir une rentabilité

Conclusion

Pour une raison que j’ignore, au Canada et au Québec le transport aérien est perçu comme une vache à lait. Mais la réalité est très différente et ce depuis des décennies. La crise de la COVID19 n’a fait qu’accélérer la dégénérescence du transport aérien au Canada. Il faudra plus que quelques bons mots et 2 ou 3 millions pour redresser la situation. Enfin, il faut espérer que ses dernières coupures finissent par se ressentir à Ottawa et fassent bouger le ministre des Transports. Mais permettez-moi d’en douter. 

Il faut espérer que Pascan Aviation sera en mesure de prendre la relève cet automne avec ses Saab 340B. Mais il va falloir la soutenir et non lui mettre des bâtons dans les roues.

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4 avis sur “Air Canada, une annonce prévisible

  • ERIC TREMBLAY

    Avant de prendre la relève, ces transporteurs regionaux voudront avoir l’assurance qu’Air Canada ne reprendra pas la desserte en coupant les prix, en offrant des Aeroplans en bonus et des correspondances imbattables.

    Disont qu’AC a un historique dans ce domaine…

    Répondre
  • Robert Lalancette

    Vraiment un excellent article. Le gouvernement fédéral voit les compagnies aériennes effectivement comme des vaches à lait et se fout complètement des compagnies aériennes (de toute l’aviation au pays d’ailleurs) et de leur importance stratégique dans l’économie d’un pays aussi vaste que le nôtre.
    Si Air Canada perd de l’argent sur ces routes, soit ils les coupent (oui, et oui, AC n’est plus une compagnie de la couronne depuis plus de 30 ans mais bien une compagnie privée, ce que bien des gens oublient, et plus important encore, ce que le fédéral oubli ) ou bien les gouvernements de tous les niveaux aident AC a absorber ses pertes pour le service offert.

    Répondre

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